Un mathématicien d’entre deux guerres

Nicolas Bourbaki est né en 1935, à Besse en Auvergne. Durant la première guerre modiale, environ 5% de la population française a été décimée. Parmi les morts, beaucoup sont de jeunes hommes (1 400 000 de militaires tués), d’autres ont été blessés (un peu plus de 4 000 000). Or à cette époque, la priorité n’était pas d’épargner de potentiels chercheurs en mathématiques, ainsi  il en reste peu après 1918.

Les jeunes étudiants de  l’ENS de la rue d’Ulm n’ont, dans les années 20-30, quasiment que des interlocuteurs de la fin du XIXème siècle. Or tout comme aujourd’hui, les rapports entre les générations sont assez compliqués. Les jeunes chercheurs ont leur point de vue et trouvent les mathématiques un peu hermétiques. En fait, chaque branche est cloisonnée, un peu comme peuvent l’imaginer les lycéens actuels qui voient, par exemple, la géométrie et l’analyse comme deux branches distinctes et indépendantes des maths. De plus, la recherche à l’étranger se focalise sur des sujets peu traités en France. Les idées bien que foisonnantes mènent à des travaux peu rigoureux. Finalement, un chercheur isolé n’a pas de poids, il doit pouvoir faire ses preuves…

La situation est critique, mais heureusement, arrive Nicolas Bourbaki.

Nicolas Bourbaki, un mathématicien pas comme les autres

Remettre de l’ordre dans les mathématiques n’est pas une mince affaire, un seul homme ne suffit pas. En réalité Nicolas Bourbaki cache un groupe de travail constitué d’un grand nombre de mathématiciens (on peut citer André WEIL, Elie CARTAN, Jean DIEUDONNE). Le choix du nom de ce mathématicien imaginaire vient d’une blague qui date de 1923. Raoul Husson, qui est étudiant à l’ENS, se grimme en mathématicien barbu et donne une conférence totalement incompréhensible. Il démontre un théorème avec des raisonnements faux. Dans l’auditoire, les initiateur du projet, à l’époque encore étudiants, en rient beaucoup et retiennent le nom de Bourbaki. Très inventifs (c’est une qualité nécessaire en mathématiques) les membres du groupes ont même été jusqu’à reprendre le nom d’un faux pays, la Poldévie, pour pouvoir publier des travaux sous ce nom. La Poldévie est un pays inventé par l’action française pour ridiculiser la classe politique en 1929.

Nicolas Bourbaki est mort, vive Nicolas Bourbaki!

Aujourd’hui le groupe de travail existe encore mais Nicolas Bourbaki est « décédé ». Un faux faire part (tout aussi absurde) a été rédigé :

« Les familles Cantor, Hilbert, Noether ; les familles Cartan, Chevalley, Dieudonné, Weil ; les familles Bruhat, Dixmier, Samuel, Schwartz ; les familles Cartier, Grothendieck, Malgrange, Serre ; les familles Demazure, Douady, Giraud, Verdier ; les familles filtrantes à droite et les épimorphismes strictes, mesdemoiselles Adèle et Idèle ;

ont la douleur de vous faire part du décès de M. Nicolas Bourbaki, leur père, frère, fils, petit-fils arrière-petit-fils et petit-cousin respectivement pieusement décédé le 11 novembre 1968, jour anniversaire de la victoire, en son domicile de Nancago. La crémation aura lieu le samedi 23 novembre 1968 à 15 heures au cimetière des fonctions aléatoires, métro Markov et Gödel.
On se réunira devant le bar « aux produits directs », carrefour des résolutions projectives, anciennement place Koszul.

Selon les vœux du défunt, une messe sera célébrée en l’église Notre-Dame des problèmes universels, par son éminence le Cardinal Aleph 1 en présence des représentants de toutes les classes d’équivalence et des corps algébriquement clos constitués. Une minute de silence sera observée par les élèves des Ecoles normales supérieure et des classes de Chern.

Car Dieu est le compactifié d’Alexandrov de l’univers, Grothendieck IV, 22. »

L’œuvre de Nicolas Bourbaki compte aujourd’hui plus de 40 volumes, mais l’objectif initial est devenu irréalisable, mettre à plat les mathématiques n’est plus possible tant la discipline est vaste.

 

Huber M., La Population de la France pendant la guerre, 1931

Maurice Mashaal, Bourbaki, une société secrète de mathématiciens, Pour la science, 2002 (ISBN 2-84245-046-9) p. 25.